Pages

11/16/2013

Cher Président

Cher Président,

j'ai pris un peu de temps avant de me décider de t'écrire. Je me suis même demandée si je devais t'écrire en français ou en anglais, sachant que je suis à plus de 6000km de la Capitale. Mais bon, il m'arrive parfois de profiter de toutes les occasions possibles pour pratiquer mon français qui parfois, j'ai l'impression, se détériore à force de ne penser ou ne parler qu'anglais.

Je te tutoie, j'espère que tu ne m'en veux pas? Je me suis dit qu'après tout, comme bon représentant des français et françaises sur le sol français et dans le monde, je dois bien pouvoir m'identifier à toi comme "citoyen normal", aussi Président sois-tu. La normalité, n'était-ce pas l'un de tes mots clé lors de ta campagne? Donc je te tutoie. Un jour peut-être je te vouvoierai. Ou peut-être pas.

Cher Président, si je t'écris cette longue lettre, c'est parce que je me sens mal dans ma peau. Ne te méprend pas, je ne compte pas faire de cette lettre une psychanalyse de ma vie au quotidien ni même un état des lieux de ma santé. Je souhaite juste partager avec toi quelques points qui me dérangent. Parlons franchement, puisque "toi, Président", tu es sensé être l'écoute de tes concitoyens.

Cela va bientôt faire 10 ans que j'ai quitté le territoire français. Je me considère encore comme "jeune diplômée", puisqu'avec mes 5 années d'expérience professionnelle (dont 6 mois de stage non rémunéré à l'étranger et quelques mois de pause involontaire dans mes contrats de travail), on regarder toujours mon Master comme le plus grand de mes accomplissements, alors que depuis j'ai travaillé dans des agences internationales renommées.

Sur ces 5 années, je n'ai jamais payé d'impôts en France. Je te rassure, je n'ai jamais fraudé: j'ai juste habité à 100% hors du territoire français, j'ai travaillé pour des organisations internationales, et j'ai habité dans des régions du monde où si je ne paye pas d'impôts, je risque de perdre mon emploi du jour au lendemain. Je n'ai jamais non plus cotisé pour ma retraite, si ce n'est en mettant de l'ordre dans mes finances privées et en garantissant un train de vie stable et modeste, tout en sachant profiter de la vie.

Mais voilà, Président, de mes 6000 km de distance je continue malgré tout de regarder ce qui se passe "à la maison", et non seulement je suis attristée, mais je me sens aussi parfois insultée. Et ce parce que je continue de m'inclure dans plusieurs cadres que l'opinion générale semble titiller de façon agressive.
Depuis des mois, je lis sans cesse des articles qui demandent pourquoi les jeunes diplômés préfèrent partir de France et s'installer à l'étranger. Tu devrais le savoir, la réponse est pourtant simple: on préfère partir de France et s'installer à l'étranger, 1/ parce qu'il y a du travail, 2/ parce qu'il y a de l'argent ailleurs, 3/ parce que mon diplôme y est reconnu, 4/ parce que j'ai des opportunités de développement professionnel, et 5/ parce que c'est mon choix personnel. Je me permets de développer un peu:

1/ On parle suffisamment du chômage des jeunes, tu dois bien le savoir. Je suis diplômée de Grande Ecole française, diplômée d'une université prestigieuse suédoise. Mais un diplôme chaud dans les poches, en période de crise économique, cela n'aide pas. J'ai peut-être surestimé mes chances (copieusement aidée par des institutions universitaires particulièrement pédantes), mais j'ai pris mon mal en patience. J'ai appris une nouvelle langue, j'ai exercé des petits boulots, j'ai travaillé 6 mois sans être payée.

2/ ...Et tous ces petits sacrifices m'ont appris la (fameuse) valeur-travail, tout en me disant qu'il ne faut pas non plus en abuser trop longtemps.

3/ Je sais bien que faire un Master spécialisé en environnement et développement durable, pour beaucoup, cela veut dire faire des accolades aux arbres, s'enchainer aux rails pour bloquer des convois de déchets nucléaires, ou bien partir se faire des dreadlocks en mangeant vegan. Ne m'en veux pas, mais les clichés parfois en France ont la vie longue, alors j'ai préféré avancer dans des endroits où l'on reconnaît ce que j'ai fait et où l'on donne une chance à mes projets et mes envies.

4/ ...Et autant dire qu'en Scandinavie, et (à la grande surprise de beaucoup), au Moyen-Orient, l'environnement n'est pas le premier budget que l'on va écorcher lorsque cela va mal. Ce n'est pas non plus un sujet de discorde politique  au Parlement, et penser "vert" ne veut pas dire "penser Ecologistes". Si je pense vert, c'est que je pense à l'avenir de mon pays et de ma famille. Pas que je cherche à garantir ma réélection dans les 4-5 ans à venir.

5/ Je suis partie à l'étranger parce que cela faisait partie de mon cursus universitaire, une année Erasmus obligatoire. J'ai découvert un monde académique différent, j'ai fait la fête (un peu trop), et j'ai rencontré du monde (beaucoup). J'ai tellement échangé avec des gens de cultures différentes que j'ai rencontré celui que j'allais un jour épouser. Il n'est pas français, mais il se considère autant que moi comme international plutôt qu'issu d'un pays spécifique. Si je ne suis pas en France, ce n'est pas contre mon pays, mais pour développer un futur tout aussi international pour nous deux et notre future progéniture, qui si tout se passe bien, grandira en parlant au minimum 3 à 4 langues à la maison, et connaîtra autant la Tour Eiffel que la Forêt Noire. Et j'aime cette idée, tout bêtement.

Alors pourquoi m'impose-t-on l'idée que je trahis mon pays, parce que je décide de construire une vie qui me semble plus appropriée tout d'abord pour mes projets individuels, mais aussi pour mes futurs projets de famille?

Il y a 20 ans, lorsque j'ai du choisir ma LV1 puis ma LV2 (le grec ancien en option ne m'ayant pas trop ouvert de portes pour le moment), j'ai pensé à l'avenir. J'ai pensé à l'Europe qui grandissait, alors que l'Euro n'existait pas encore. Le gouvernement poussait les jeunes à partir à l'étranger, et une expérience internationale était le must pour un CV glorieux et un accès aux postes à responsabilités. La francophonie était majestueuse, être "Français à l'étranger" semblait la clé à beaucoup de problèmes.

A l'époque, partir était une fierté - maintenant cela sonne comme une trahison.J'espère que tu comprends où je veux en venir, cher Président.

 Je ne vois pas pourquoi il faudrait se justifier de partir lorsque l'on cherche une vie meilleure, ailleurs. La Nouvelle Frontière, l'Eldorado, tout ça ne se trouve plus en France. Cela ne fait pas de moi ou des autres, pour autant, une mauvaise personne, ou une "anti-France". Mon choix de vie a des avantages, il a aussi des inconvénients que j'assume. Mais je ne comprends pas pourquoi j'en arrive me sentir visée par ces commentaires qui disent qu'il faut participer à "l'effort national" pour remonter la pente et sortir de la crise. Je crois qu'en augmentant les impôts par-ci par-là tu impliques déjà tellement de monde à cet effort-là, et beaucoup n'ont pas besoin d'être passés par mes étapes pour avoir envie de filer par la petite ou la grande porte. Je n'ai pas besoin de te rappeler non plus qu'eux même se sentent trahis, que les sentiments sont réciproques.

Que l'on ne vienne pas non plus me parler de politique par ici. Certes, je n'ai pas voté pour toi. Mais j'ai reconnu suffisamment de fois qu'avec le contexte économique et social actuel, l'autre côté n'aurait peut-être pas pu mieux faire non plus. Agir est une bonne chose; agir dans la bonne direction en est une autre.

Cher Président, si tu veux que tes expatriés, ceux qui véhiculent la francophonie et l'excellence de tes universités, ceux qui ont des idées et qui ne vivent que par l'innovation et la stimulation intellectuelle et économique, rentrent, donne leur les bonnes raisons. Toi, Président, tu en as sûrement plus les moyens que nous.

Cordialement, etc etc.

No comments:

Post a Comment